Quelques questions à Julia Woignier, autrice et illustratrice

Au rythme d'une publication par an depuis un premier album publié en 2014 chez Memo*, Julia Woignier glisse doucement mais sûrement sa patte dans le vaste monde des livres pour enfants. Elle signe aujourd'hui un superbe album aux éditions du Seuil, Camping sauvage, et confirme avec ce nouveau petit bijou son talent à en dire autant par des couleurs très vives que par un jeu avec le blanc. Une histoire de vacances, d'amitié, d'aventures et de rencontre à l'image de cette illustratrice discrète au talent indiscutable.


Camping sauvage, c’est l’histoire d'une bande d'amis animaux qui décident, au premier jour de l’été, de partir explorer la montagne, chargés de leurs tentes et provisions. Mais dès le premier soir, une tempête va chambouler leurs plans…
Comment est venue l’idée de cette histoire ?

Je crois que j'avais très envie de vacances, alors j'ai dessiné l'image où les animaux montent la tente. J'ai fait une image, puis deux… et c'est bien après, en revoyant ces images dans mon carnet, que j'ai commencé à inventer l'histoire.
L'idée de la tempête vient de mes propres souvenirs de camping : les nuits d'orage et d'intempéries sont très impressionnantes sous tente. Le bruit de la pluie qui s'abat sur la toile est amplifié, on sent la terre trembler à chaque coup de tonnerre, on se sent vraiment tout petit face à la nature et on ne voit pas ce qui se passe dehors... on peut alors tout s'imaginer.

Pour un projet comme celui-ci, où tu as réalisé textes et illustrations, comment se construisent les deux narrations ?

J'écris d'abord par l'image. Comme pour Camping sauvage, mes idées d'histoire naissent souvent d'un dessin. Par ailleurs, dessiner m'est nécessaire pour inventer l'histoire. Donc je dessine beaucoup en amont du livre, j'ai des carnets de recherches remplis d'images. Par ce processus je mets également mes idées à l'épreuve du dessin.

Ce que j’aime particulièrement dans tes livres, c’est la première phrase, qui arrive un peu comme si l’histoire avait déjà commencé, et que le lecteur n’avait qu’à se glisser dans la situation et suivre le cours de l’histoire. A quel moment intervient-elle, cette première phrase ? 
 
Je dessine tout (ou presque) avant d'écrire le moindre mot. Le texte peut venir par bribes pendant que je travaille, mais généralement je ne l'écris qu'à la fin.
J'accorde beaucoup de soin à la première phrase car elle marque le début d'un voyage pour le lecteur et il me semble qu'elle doit tout de suite nous embarquer. C'est une sorte de « il était une fois » non formulé. 
 
Dans ce texte, à la différence des autres, le narrateur est un des personnages de l’histoire, le lapin blanc. Est-ce que cela change quelque chose dans ta façon de vivre le récit, de raconter l’histoire… ?

Le choix du récit à la première personne a été très intuitif, j'avais envie d'expérimenter ce type d'écriture. Par ailleurs, j'aime les histoires où on est à hauteur d'enfant, à hauteur de ce qui est petit. Le personnage qui raconte, ici, n'est pas le héros du récit, il rapporte l'aventure de tout un groupe et la première personne permet de vivre l'histoire de l'intérieur.
Le moment de la rencontre dans l'arbre est le moment où l'on rejoint aussi le groupe du point de vue du dessin. On est à la hauteur des personnages, on est perché dans l'arbre, et j'espère qu'on a l'impression d'être parmi eux. Pour cette double-page la proximité était particulièrement importante pour moi car c'est un des moments les plus intenses de la narration où tout passe par les regards, les postures...

On a tous des souvenirs de vacances, et ce qui nous en reste peut-être de plus beau réside dans ce qui n’était pas prévu. C’est ce qui se passe dans cette histoire et c’est aussi une façon de dire que de belles rencontres se font dans ce que l’on ne connaît pas… 
 
Face à l'imprévu, on est forcé d'improviser. On déploie parfois des trésors d'astuce qui, sans les difficultés ne se seraient pas révélés. Une situation en apparence catastrophique peut se convertir en une aventure formidable, ouvrir sur des découvertes surprenantes. C'est parfois l'occasion de se dépasser ou de revenir à des choses très simples qu'on avait oubliées par exemple.
Les personnages de Camping sauvage perdent tout ou presque dans la tempête mais ça ne les empêche pas de se rendormir une fois à l'abri. Le lendemain matin, ils prennent la mesure de la situation et s'organisent en conséquences, paisiblement, comme si tout ça n'allait pas les empêcher de passer de bonnes vacances.

Comme dans tes autres livres, on retrouve le thème de l’autre, celui que l’on connaît peu, que tu représentes souvent par un animal sauvage, ici une sorte de panthère, fuyant au départ et que les cinq amis finissent par apprivoiser…

En imaginant ce personnage entre l'ours et la panthère, au pelage d'une couleur impossible, je voulais qu'il soit difficile à identifier, qu'on ne puisse pas deviner d'où il vient, qu'on en sache le moins possible sur lui. C'est un personnage qui ne « parle » pas et qui n'a pas vraiment de nom. Comme dans les rencontres qu'on fait avec des étrangers dont on ne partage pas la langue, un autre type de communication s'établit, beaucoup plus tacite et qui n'empêche pas du tout de lier une amitié. C'est ce qui se passe dans Camping sauvage. Un lien se crée, de façon invisible.
Les animaux de l'histoire sont comme la plupart des enfants, ils sont sans méfiance, curieux, il sont envie de rencontrer l'autre.
Le fauve est sur la réserve en effet, il est seul (et intrus?) face à un groupe d'inconnus. Et il est peut-être un peu plus farouche que les autres. Mais quand la branche craque et que tous sautent pour le secourir, ils gagnent d'un coup sa confiance : à la page suivante ils voguent sur son dos.

La place laissée au blanc dans tes illustrations est singulière, comme un jeu dans la narration. Dans tous les cas, une autre couleur, tout aussi lumineuse que les autres. Peux-tu nous expliquer cette place, essentielle, que tu lui laisses ? 
 
Oui, je me sers souvent du blanc en tant que couleur. Quand il ne dessine pas quelque chose, le blanc est une respiration. C'est l'espace entre les actions. C'est aussi le temps qui passe peut-être… Peut-être que j'invite implicitement le lecteur à imaginer ce qu'il contient.

Ton trait se définit aussi beaucoup par des paysages et des personnages très colorés, éclatants, sans forcément de souci de coller à la réalité des apparences. On a le sentiment dans Camping sauvage que ce trait est encore plus affirmé… 
 
La couleur est ce qui me permet de m'écarter du réel (ce que je sais beaucoup moins bien faire par le trait, la composition ou la perspective, par exemple) et il est possible que ce choix de m'écarter du réel se précise et s'accentue de livre en livre...

Ce qu’il y a de commun à tes albums, peut-être, c’est ce pas en avant, cette envie d’aller vers quelque chose, ce goût de l’aventure… 
 
Je crois bien que c'est en lisant des livres que j'ai moi-même « attrapé » le goût de l'aventure. Certaines lectures m'ont donné l'élan de faire ce fameux pas en avant, comme tu l'as si bien nommé.
Donner le goût de l'aventure à mon tour, c'est peut-être une de mes motivations dans l'écriture d'un livre...
En tous cas, cela traduit sûrement mon propre désir d'aller toujours un peu plus vers l'inconnu.

(entretien paru dans le numéro 84 de la revue Citrouille / décembre 2019)


* La ronde des mois, textes de F. Morvan

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