Quelques questions à Julia Woignier, autrice et illustratrice

Camping
sauvage, c’est l’histoire d'une bande d'amis animaux qui
décident, au premier jour de l’été, de partir explorer la
montagne, chargés de leurs tentes et provisions. Mais dès le
premier soir, une tempête va chambouler leurs plans…
Comment
est venue l’idée de cette histoire ?
Je
crois que j'avais très envie de vacances, alors j'ai dessiné
l'image où les animaux montent la tente. J'ai fait une image, puis
deux… et c'est bien après, en revoyant ces images dans mon carnet,
que j'ai commencé à inventer l'histoire.
L'idée
de la tempête vient de mes propres souvenirs de camping : les
nuits d'orage et d'intempéries sont très impressionnantes sous
tente. Le bruit de la pluie qui s'abat sur la toile est amplifié, on
sent la terre trembler à chaque coup de tonnerre, on se sent
vraiment tout petit face à la nature et on ne voit pas ce qui se
passe dehors... on peut alors tout s'imaginer.
Pour
un projet comme celui-ci, où tu as réalisé textes et
illustrations, comment se construisent les deux narrations ?
J'écris
d'abord par l'image. Comme
pour Camping
sauvage,
mes idées d'histoire naissent souvent d'un dessin. Par ailleurs,
dessiner m'est nécessaire pour inventer l'histoire. Donc je dessine
beaucoup en amont du livre, j'ai des carnets de recherches remplis
d'images. Par ce processus je mets également mes idées à l'épreuve
du dessin.
Ce
que j’aime particulièrement dans tes livres, c’est la première
phrase, qui arrive un peu comme si l’histoire avait déjà
commencé, et que le lecteur n’avait qu’à se glisser dans la
situation et suivre le cours de l’histoire. A quel moment
intervient-elle, cette première phrase ?
Je dessine tout (ou
presque) avant d'écrire le moindre mot. Le texte peut venir par
bribes pendant que je travaille, mais généralement je ne l'écris
qu'à la fin.
J'accorde
beaucoup de soin à la première phrase car elle marque le début
d'un voyage pour le lecteur et il me semble qu'elle doit tout de
suite nous embarquer. C'est une sorte de « il était une fois »
non formulé.

Le
choix du récit à la première personne a été très intuitif,
j'avais envie d'expérimenter ce type d'écriture. Par ailleurs,
j'aime les histoires où on est à hauteur d'enfant, à hauteur de ce
qui est petit. Le personnage qui raconte, ici, n'est pas le héros du
récit, il rapporte l'aventure de tout un groupe et la première
personne permet de vivre l'histoire de l'intérieur.
Le
moment de la rencontre dans l'arbre est le moment où l'on rejoint
aussi le groupe du point de vue du dessin. On est à la hauteur des
personnages, on est perché dans l'arbre, et j'espère qu'on a
l'impression d'être parmi eux. Pour cette double-page la proximité
était particulièrement importante pour moi car c'est un des moments
les plus intenses de la narration où tout passe par les regards, les
postures...
On
a tous des souvenirs de vacances, et ce qui nous en reste peut-être
de plus beau réside dans ce qui n’était pas prévu. C’est ce
qui se passe dans cette histoire et c’est aussi une façon de dire
que de belles rencontres se font dans ce que l’on ne connaît pas…
Face à l'imprévu, on
est forcé d'improviser. On déploie parfois des trésors d'astuce
qui, sans les difficultés ne se seraient pas révélés. Une
situation en apparence catastrophique peut se convertir en une
aventure formidable, ouvrir sur des découvertes surprenantes. C'est
parfois l'occasion de se dépasser ou de revenir à des choses très
simples qu'on avait oubliées par exemple.
Les
personnages de Camping
sauvage perdent
tout ou presque dans la tempête mais ça ne les empêche pas de se
rendormir une fois à l'abri. Le lendemain matin, ils prennent la
mesure de la situation et s'organisent en conséquences,
paisiblement, comme si tout ça n'allait pas les empêcher de passer
de bonnes vacances.
Comme
dans tes autres livres, on retrouve le thème de l’autre, celui que
l’on connaît peu, que tu représentes souvent par un animal
sauvage, ici une sorte de panthère, fuyant au départ et que les
cinq amis finissent par apprivoiser…
En
imaginant ce personnage entre l'ours et la panthère, au pelage d'une
couleur impossible, je voulais qu'il soit difficile à identifier,
qu'on ne puisse pas deviner d'où il vient, qu'on en sache le moins
possible sur lui. C'est un personnage qui ne « parle »
pas et qui n'a pas vraiment de nom. Comme dans les rencontres qu'on
fait avec des étrangers dont on ne partage pas la langue, un autre
type de communication s'établit, beaucoup plus tacite et qui
n'empêche pas du tout de lier une amitié. C'est ce qui se passe
dans Camping sauvage. Un lien se crée, de façon invisible.
Les
animaux de l'histoire sont comme la plupart des enfants, ils sont
sans méfiance, curieux, il sont envie de rencontrer l'autre.
Le
fauve est sur la réserve en effet, il est seul (et intrus?) face à
un groupe d'inconnus. Et il est peut-être un peu plus farouche que
les autres. Mais quand la branche craque et que tous sautent pour le
secourir, ils gagnent d'un coup sa confiance : à la page
suivante ils voguent sur son dos.
La
place laissée au blanc dans tes illustrations est singulière, comme
un jeu dans la narration. Dans tous les cas, une autre couleur, tout
aussi lumineuse que les autres. Peux-tu nous expliquer cette place,
essentielle, que tu lui laisses ?
Oui,
je me sers souvent du blanc en tant que couleur. Quand il ne dessine
pas quelque chose, le blanc est une respiration. C'est l'espace entre
les actions. C'est aussi le temps qui passe peut-être… Peut-être
que j'invite implicitement le lecteur à imaginer ce qu'il contient.
Ton
trait se définit aussi beaucoup par des paysages et des personnages
très colorés, éclatants, sans forcément de souci de coller à la
réalité des apparences. On a le sentiment dans Camping sauvage que
ce trait est encore plus affirmé…
La
couleur est ce qui me permet de m'écarter du réel (ce que je sais
beaucoup moins bien faire par le trait, la composition ou la
perspective, par exemple) et il est possible que ce choix de
m'écarter du réel se précise et s'accentue de livre en livre...
Ce qu’il y a de
commun à tes albums, peut-être, c’est ce pas en avant, cette
envie d’aller vers quelque chose, ce goût de l’aventure…
Je
crois bien que c'est en lisant des livres que j'ai moi-même
« attrapé » le goût de l'aventure. Certaines lectures
m'ont donné l'élan de faire ce fameux pas en avant, comme tu l'as
si bien nommé.
Donner
le goût de l'aventure à mon tour, c'est peut-être une de mes
motivations dans l'écriture d'un livre...
En
tous cas, cela traduit sûrement mon propre désir d'aller toujours
un peu plus vers l'inconnu.
(entretien paru dans le numéro 84 de la revue Citrouille / décembre 2019)
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La ronde des mois,
textes de F. Morvan